Travailleurs de 55 ans et plus: la réduction groupe-cible est-elle suffisamment performante ?
Article d'opinion d'Ann Boterman, Business Director chez Asap HR Group
Au cours des mois à venir, le marché du travail fera, à n’en pas douter, l’objet d’un débat intense. Un des points les plus sensibles concerne la place des plus de 55 ans sur le marché de l’emploi. « Grâce à un certain nombre d’initiatives, parmi lesquelles la réduction groupe-cible, le taux d’emploi de cette catégorie de travailleurs s’est considérablement amélioré ces dernières années. Cependant, les modalités d’octroi de cette subvention ont été modifiées, si bien que personne n’est capable de prévoir l’efficacité ou la durabilité de la mesure. Somme toute, nous souhaitons tous que les employeurs recrutent leurs collaborateurs sur base de leur talent et de leurs compétences, non en fonction d’un quelconque subside. Le gouvernement est-il disposé à ajuster sa politique en la matière ? », demande Ann Boterman, Business Director chez Asap HR Group.
À neuf mois des élections, les partis politiques fourbissent leurs armes en vue de remporter la bataille des urnes. Les premiers débats ont déjà eu lieu. Parmi les sujets qui seront forcément abordés figure l’impact du vieillissement sur le marché du travail.
Les travailleurs plus âgés sont régulièrement confrontés à des préjugés (infondés) : ils seraient moins productifs, moins flexibles, inaptes à effectuer un travail physique et plus souvent absents pour cause de maladie. Les employeurs sous-estiment trop souvent la plus-value des travailleurs de plus de 55 ans. Quoi qu’il en soit, ils possèdent beaucoup (plus) d’expérience et leur maturité est un atout profitable pour leurs jeunes collègues.
Leur expérience professionnelle et personnelle rend généralement les plus de 55 ans plus loyaux et socialement compétents. En tant que mentors, ils peuvent transmettre leurs connaissances et contribuer de la sorte au développement professionnel de leurs jeunes collègues. Enfin, ils ne requièrent pas ou peu de formations, ce qui permet de réduire les coûts inhérents. Les collaborateurs plus âgés sont un gage de durabilité. Tandis que les jeunes collaborateurs changent d’emploi tous les trois à cinq ans, leurs collègues plus âgés sont nettement moins enclins au changement. Ils sont concentrés sur la fin de leur carrière et aspirent avant tout à une forme de stabilité.
Pour les entreprises, il s’agit d’un paramètre important. Selon les estimations du centre de recherche Steunpunt Werk, environ 15 % des actifs quitteront définitivement le marché du travail entre 2022 et 2027. Soit un pourcentage une fois et demie supérieur à celui des années antérieures. Selon les chiffres officiels de Statbel, cela tient au fait qu’en 2022, le taux d’emploi des plus de 55 ans atteignait pratiquement 60 %. Une augmentation de près de 10 % par rapport à 2017, due notamment à la suppression progressive du chômage avec complément d’entreprise (prépension) ou d’autres filières de sortie anticipée. En soi, c’est plutôt positif, mais il s’agit d’un groupe qu’il faudra remplacer une fois atteint l’âge légal de la retraite.
Connaissant le défi auquel nous sommes confrontés, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi la reconnaissance de la plus-value apportée par cette catégorie de travailleurs est liée à l’octroi de subventions. Malheureusement, les employeurs se focalisent encore trop souvent sur les préjugés et sur l’ampleur des coûts salariaux.
À l’instar d’ING, qui a récemment proposé à certains travailleurs âgés de rester chez eux tout en étant payés. Même si l’objectif doit être de maintenir davantage/plus longtemps ce groupe au travail, cette stratégie mérite qu’on y réfléchisse. Certes, le licenciement mais également le recrutement d’un travailleur âgé coûtent cher aux entreprises.
Par le biais de la réduction groupe-cible, le gouvernement entend restaurer un certain équilibre et inciter les entreprises à privilégier le talent et les compétences, en fonction de leurs besoins. En d’autres termes, cette prime constitue un avantage financier octroyé aux employeurs qui engagent ou maintiennent en place des travailleurs plus âgés, expérimentés et loyaux. Lorsque l’on examine les chiffres de 2018 – et bien que le nombre de demandes de réductions groupe-cible ait sensiblement baissé – on constate que le total des montants alloués reste stable. Autrement dit : le montant moyen octroyé par dossier augmente. De plus, le gouvernement relève chaque année l’âge permettant de bénéficier de la réduction groupe-cible. Actuellement fixé à 60 ans, cet âge passera à 61 ans l’an prochain.
Dès lors, une question se pose : quel impact cela a-t-il sur le maintien dans l’emploi des 55-60 ans ? Le taux d’activité de cette catégorie de travailleurs va-t-il baisser au cours des années à venir ? Les employeurs entrevoient en effet la suppression d’un puissant incitant destiné à maintenir ces travailleurs en activité. La question est également de savoir si les employeurs sont disposés ou capables de répondre aux attentes salariales des candidats.
Nous devons veiller à ce que les instances politiques déploient des moyens là où la nécessité se fait le plus sentir. C’est pourquoi il est essentiel de surveiller attentivement l’impact de la suppression de la réduction groupe-cible. Pour les employeurs, cette subvention constitue incontestablement un levier important, car elle leur permet de sélectionner les candidats non pas en fonction de contingences purement budgétaires, mais bien sur base de leurs qualités et de leurs compétences.
Nous espérons que ce paramètre sera pris en compte dans le débat sur le marché du travail. Un débat qui, souhaitons-le, mettra l’accent sur l’aspect humain et sur les compétences, plutôt que de se focaliser sur l’aspect purement financier.